Dès ses premiers instants de réveil, Yoko Sen ressentit un soulagement. Après une opération réussie à l'hôpital,
Vient la partie difficile, la récupération.
Dans les jours qui ont suivi, Yoko a subi une expérience auditive « forte, dissonante et brutale ». Des bips incessants
et les bips provenant des machines du service l'empêchaient de se sentir mieux.

Yoko, parlant à Quiet Times , avec un accent japonais chantant, est une musicienne d'ambiance électronique. Son oreille fine et à l'écoute de la musique a identifié que le moniteur, deux lits plus loin, répétait la note de do. Et de l'autre côté du couloir, un bip, un fa dièse aigu, s'entrechoquait avec le sien, produisant une quinte diminuée, un triton ; historiquement considéré comme l'accord le plus sinistre, interdit dans les églises au Moyen Âge. Pour une oreille non avertie, cela pouvait être agaçant. Pour un musicien, c'était un cauchemar !
« Était-ce ainsi que les alarmes étaient censées sonner ?… Est-ce qu'elles doivent nécessairement sonner ainsi ? » commença-t-elle à se demander. Sa quête, celle de changer les sons entendus dans les hôpitaux, allait la mener à la rencontre du Dr Elif Özcan (Vieira), éminente chercheuse en conception sonore, professeure à l'Université technique de Delft et directrice de son laboratoire d'alarmes critiques, aux Pays-Bas, qui s'entretient également avec Quiet Times .
L'expérience de Yoko est un phénomène qu'Elif explore elle-même : les « biotopes acoustiques ». Prenons son cas où, selon Yoko, les « bipeurs » et les « bipeurs » existent tous deux. Ceux qui ont besoin d'entendre les sons pour surveiller, soigner et faire leur travail (les bipeurs) sont contraints de coexister avec ceux qui n'entendent que du bruit (les bipeurs).
Dérivé de l'écologie et de la biologie, dans un biotope acoustique, les deux parties entendent les mêmes choses dans leur environnement partagé, mais leur expérience de ce son est totalement différente.
Les alarmes que nous utilisons à la maison ont une signification, comme « se réveiller » ou « vous avez un e-mail ». Nous ne sommes pas habitués à un mur de sons sans signification. Pourtant, les soignants, eux, le sont. Leur fandango acoustique les oblige à surveiller chaque alarme, celle de chaque appareil du patient, à distinguer les appareils et à savoir précisément lesquelles sont informatives et celles qui nécessitent une intervention urgente, immédiate.
Yoko nous dit que jusqu'à 95 % de ces alarmes peuvent être considérées comme « cliniquement insignifiantes » et nous présente un autre terme : « fatigue liée aux alarmes ».
Alors qu'une infirmière experte peut instantanément reconnaître quels sont les 5 % à écouter réellement, celles qui sont plus novices dans la profession peuvent au contraire vouloir entendre les 100 %, comme l'explique Elif.
Les infirmières utilisent ces alarmes pour assurer une surveillance à distance. Contrairement à la surveillance visuelle, elles ne sont pas collées à l'écran. Cela leur permet de se concentrer sur la prise de médicaments et l'aide aux autres patients.
Leurs notifications ne sont probablement pas urgentes. « Prévenez-moi une demi-heure avant que la pompe à seringue soit vide… et 5, et 2 minutes avant. » Bon, d'accord, cela aurait pu être une simple alarme, mais « vous vous préparez mentalement à aider le patient, grâce aux alarmes. »
Il est un fait admis que les alarmes ne sont pas aussi agréables qu'elles le pourraient. Consciente de la fragilité liée à l'âge ou à la maladie, Yoko a entrepris des recherches et s'est demandée : « Quel est le dernier son que vous aimeriez entendre ? »
« La nature, les océans, les eaux et les rivières » arrive en premier, apaisant. Ensuite, vient le son de nos proches. Le troisième est plus poétique. « C'est un orchestre qui s'accorde, se prépare pour un concert. » C'est peut-être l'influence musicale de Yoko, mais pour finir, cela semble plutôt pertinent.
Elif confirme que la perspective artistique de Yoko « apporte de la poésie à la problématique du design ». « Les artistes sont très observateurs. Se mettre à la place de l'autre, c'est là qu'on commence à concevoir avec un état d'esprit différent. »
La professeure Elif est une collaboratrice enthousiaste. Elle se souvient d'une expérience où l'interrogatoire des infirmières sur le bruit et l'installation de capteurs pour surveiller les niveaux sonores ont permis de mieux les sensibiliser à cet environnement sonore.
Solliciter des contributions à la recherche « les prépare à accepter un jour une innovation radicale ». Une innovation développée sans eux, ils ne l'accepteraient probablement jamais.
Yoko a tendance à se concentrer sur le côté humain, plus chaleureux, dans ses recherches principales. « Est-ce un genre de son qu'on peut entendre encore et encore sans se fatiguer ? » Ou bien cherche-t-elle à savoir si on « pourrait l'entendre quand on est très malade et qu'on souffre ? »
« Les sons des produits sont la voix d'un produit… », explique Elif. « Pour concevoir un son, il faut donc écouter ce qu'il a à dire. » Ses précédents travaux l'ont emmenée dans l'espace (ou du moins à l'Agence spatiale européenne), où les sonorités boisées évoquaient la recherche de vie extraplanétaire. Son travail de marque lui a permis de différencier le son des tableaux de bord des constructeurs automobiles. Les sonorités pétillantes et aériennes d'une Toyota sont très différentes des sonorités plus froides et plus dures d'une Lexus.
En contraste frappant avec le « mur » sonore de l'hôpital, son travail à l'Agence spatiale a mis en œuvre une série de niveaux d'alarmes, augmentant la nécessité d'agir, après avoir observé un ratio encore pire de 2 bruits sur 144 étant « exploitables ».
Ils ont créé des « sons de confirmation… allant jusqu’à des sons d’avertissement, des sons d’alarme, pour finalement devenir des exhortations » — disant à l’auditeur « la mission va échouer si vous n’agissez pas ».
Elif et Yoko s'attaquent désormais à la gestion du bruit à l'hôpital. « Avec la multitude de sources sonores différentes (paroles, machines, alarmes…), nous ne pouvons pas répondre à la cacophonie, au "problème", avec une seule solution », explique Elif.
L'acoustique de la pièce est une option suggérée par l'équipe Sen Sound de Yoko. « La réflexion de la pièce peut rendre les sons plus inconfortables ». Des dalles de plafond conçues pour absorber les sons, comme celles trouvées par la Quiet Mark Acoustics Academy, constituent un antidote possible. Yoko résume : « Il s'agit de se libérer de toute irritation. »
Les patients ont même exprimé une préférence pour un ton plus doux, proche d'Alexa d'Amazon ou de Siri d'Apple. Un jour, l'ensemble du paysage sonore de l'hôpital pourrait donc être à l'honneur.
« Un jour » étant le maître mot ici. Bien qu'il soit tentant d'agir rapidement, il s'agit de situations de vie ou de mort ; une extrême prudence est donc de mise.
« Un changement radical est positif, il incite les gens à comprendre le système, mais en même temps, le système de santé… est très conservateur. Tout doit être à 110 % et bien huilé », explique Elif. La seule façon de réagir est de procéder progressivement, petit à petit.

Image : « Sounds of Caring: New York » est dédié à tous les travailleurs de la santé et aux travailleurs essentiels du monde entier.
Yoko a eu cette confirmation presque mot pour mot dans le cadre de son projet inspirant « Sounds of Caring », une mini-série en ligne, réalisée au plus fort de la pandémie, qui posait deux questions aux professionnels de la santé : « Comment vous sentez-vous ? » et « Que voudriez-vous que les autres sachent sur ce que vous vivez en ce moment ? »
Ceux qui se cachent derrière les bips – ingénieurs et concepteurs d'entreprises de dispositifs médicaux – sont à l'écoute. « Pour entendre ceux qu'ils appellent habituellement “utilisateurs” ou “clients”, en tant qu'êtres humains, pour savoir que leur travail a un impact considérable sur leur quotidien. »
Un oncologue lui a dit que « le moindre changement… peut faire beaucoup ». Cela correspond au désir de Yoko de n'apporter que des améliorations subtiles et progressives. Il ne faut jamais modifier brusquement les sons pour éviter de contrarier les cliniciens, ni de manquer une alarme vitale.
Elif comprend qu'impliquer davantage de personnes complexifie les dossiers, mais leur implication les rend plus ouverts au changement. Elle se demande : « Comment interagir avec les sons pour devenir une meilleure version de nous-mêmes ? Pour que le bruit ne nous perturbe pas… et que nous soyons de meilleurs patients. »
Quand on pense à la conception sonore, on imagine souvent des gens assis derrière des bureaux avec plein de faders. Pourtant, Yoko et Elif devraient plutôt être décrites comme des designers axés sur le son.
« Le design vous aide à changer votre comportement… », explique Elif, et toutes deux utilisent le son comme catalyseur du changement. Même des matériaux de base peuvent avoir un effet.
Une simple affiche dans un service peut sensibiliser et sensibiliser au bruit. Cela peut donner naissance à une initiative, à un débat plus large sur un sujet plus vaste. Et à partir de là, on peut véritablement changer les comportements.
Si vous souhaitez en savoir plus sur le travail de Yoko et Elif, vous pouvez écouter leurs épisodes du podcast The Quiet Mark, en cliquant sur les vignettes ci-dessous :